Dr Dave Ellemberg, Neuropsychologue
Directeur de la Clinique d’Évaluation Neuropsychologique et de Troubles d’Apprentissage de Montréal (CENTAM) (www.centam.ca)
Professeur titulaire, Université de Montréal
Trouble du langage ou trouble du spectre de l’autisme? Comprendre pour mieux orienter son enfant.
Il n’est pas rare qu’un enfant qui parle peu, qui se replie sur lui-même ou qui a du mal à entrer en relation avec les autres suscite des interrogations. « Est-ce un trouble du langage? » « Est-ce un TSA? » Pour beaucoup de familles, les avis reçus sont divergents et parfois déstabilisants. Cette confusion est compréhensible, car certains enfants avec un trouble développemental du langage (TDL) peuvent ressembler, dans leur façon d’être, à des enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Pourtant, les mécanismes sous-jacents ne sont pas les mêmes.
Ce texte vise à clarifier ces deux profils, souvent confondus, en mettant en lumière leurs points communs, leurs différences essentielles et leurs critères distinctifs, afin d’aider les parents et les intervenants à mieux orienter leurs observations et leurs actions.
Des ressemblances qui prêtent à confusion
Chez le jeune enfant, plusieurs signes peuvent éveiller des préoccupations : il parle peu, semble se retirer, ne joue pas facilement avec les autres ou réagit fortement aux imprévus. Ces manifestations peuvent survenir à la fois dans le TDL et le TSA.
Par exemple, un enfant avec un trouble du langage peut rester à l’écart au service de garde, éviter de parler ou s’exprimer avec maladresse. Mais est-ce qu’il ne veut pas interagir… ou est-ce qu’il ne peut pas? Parfois, il évite aussi les interactions sociales parce qu’il redoute d’être incompris, de se sentir jugé ou de vivre des échecs répétés dans la communication.
C’est là que réside une des distinctions clés : le désir de communiquer et d’interagir est généralement présent chez l’enfant avec un TDL. L’enfant veut participer aux échanges, mais ses difficultés à trouver les bons mots, à comprendre certaines phrases ou à se faire comprendre créent un obstacle. Le retrait social peut alors devenir une stratégie de protection, pour éviter la frustration, l’embarras ou l’exclusion.
À l’inverse, chez un enfant avec un TSA, les difficultés sociales sont plus profondes et concernent la compréhension des règles relationnelles elles-mêmes, et non seulement la langue. Il peut ne pas saisir intuitivement les codes implicites : savoir quand c’est son tour de parler, comment interpréter un sourire, comment adapter son ton de voix à la situation. Ce n’est pas seulement la barrière du langage qui pose problème, mais la compréhension du fonctionnement même des interactions sociales et réciproques.
TDL : un trouble du langage avec retentissement possible sur la vie sociale
Le trouble développemental du langage (TDL) affecte la capacité à comprendre ou à exprimer le langage verbal. L’enfant a souvent un vocabulaire restreint, des formulations simplifiées, des erreurs grammaticales ou des difficultés à raconter, expliquer ou décrire. Il peut également avoir du mal à saisir certaines consignes complexes ou abstraites, à comprendre les nuances dans le discours ou à interpréter correctement ce que les autres veulent dire, ce qui complique ses échanges.
Ce qui est souvent moins bien compris, c’est que ces difficultés linguistiques peuvent aussi influencer sa vie sociale, non pas par manque d’intérêt pour les autres, mais parce que :
- L’enfant n’arrive pas à mettre ses émotions en mots, ce qui peut créer de la frustration.
- Il a peur d’être jugé ou de mal s’exprimer.
- Il anticipe des échecs relationnels, ce qui le pousse à se mettre en retrait par protection.
- Il ne se sent pas compris, ce qui nuit à sa motivation à entrer en relation.
- Il peut sembler maladroit dans les interactions, parce qu’il comprend mal certains messages et n’a pas toujours les bons mots pour répondre de façon adaptée.
Ces enfants peuvent donc éviter les échanges, préférer observer ou donner l’impression d’être timides ou désintéressés… alors qu’ils cherchent surtout à éviter la gêne ou l’échec liés à la communication.
TSA : un trouble qui touche la relation sociale elle-même
Chez un enfant avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA), les difficultés ne se limitent pas au langage. Il s’agit d’un trouble du neurodéveloppement qui affecte en profondeur la manière de comprendre, d’interpréter et de participer aux relations humaines. Même lorsqu’un enfant parle bien, il peut éprouver des obstacles dans plusieurs dimensions de la vie sociale.
Les difficultés dans la communication et les relations
- La réciprocité sociale : l’enfant peut avoir du mal à engager un véritable échange. Par exemple, il peut parler longuement d’un sujet qui le passionne sans vérifier si l’autre est intéressé, ou au contraire, rester silencieux et avoir du mal à répondre aux initiatives sociales. Le va-et-vient habituel des conversations est moins intuitif pour lui.
- Comprendre et utiliser les codes sociaux : même avec un bon vocabulaire, l’enfant peut mal interpréter le ton, les expressions faciales ou les intentions de l’autre. Il peut avoir de la difficulté à comprendre le second degré, l’humour, l’ironie ou les sous-entendus. Sa façon de s’exprimer est souvent plus littérale, plus rigide, et il n’ajuste pas toujours son langage selon la personne ou la situation.
- Maintenir et développer des relations : au-delà du langage, l’enfant peut peiner à se faire des amis ou à entretenir des relations. Ce n’est pas qu’il n’a pas envie d’avoir des contacts, mais les règles implicites des liens sociaux (savoir comment approcher un groupe, partager un jeu, s’adapter aux préférences de l’autre) lui échappent souvent. Cela peut donner l’impression qu’il préfère être seul, alors qu’en réalité, les codes sociaux lui semblent complexes ou incompréhensibles.
Ces différences montrent bien que, contrairement au TDL, la difficulté n’est pas seulement de trouver les bons mots : elle touche la compréhension même de ce qu’est une interaction sociale.
Les comportements et intérêts particuliers
Un autre aspect fondamental du TSA, qu’on ne retrouve pas dans le TDL, concerne le profil comportemental :
- Comportements répétitifs ou stéréotypés : l’enfant peut répéter certains gestes (battements de mains, balancements), aligner ses jouets ou chercher une régularité précise dans son environnement.
- Adhérence aux routines : les changements imprévus peuvent provoquer de l’anxiété ou des réactions intenses. Par exemple, un simple changement d’itinéraire pour aller à l’école peut être très difficile à tolérer.
- Intérêts restreints ou intenses : l’enfant peut se passionner pour un sujet précis (les planètes, les trains, les calendriers, un jeu particulier) et vouloir en parler de façon répétitive, parfois au détriment d’autres activités.
- Particularités sensorielles : beaucoup d’enfants autistes réagissent de façon inhabituelle aux sons, aux textures, aux lumières ou aux odeurs. Ils peuvent être très dérangés par un bruit de fond ou, au contraire, rechercher des sensations fortes comme le balancement ou les lumières clignotantes.
Enfin, le TSA implique souvent une différence dans le jeu symbolique. L’enfant peut moins spontanément inventer des histoires avec ses jouets, ou avoir un jeu plus concret et répétitif, là où d’autres enfants inventent facilement des scénarios imaginaires.
Mais au fond, c’est quoi le jeu symbolique?
Le jeu symbolique apparaît généralement entre 18 mois et 3 ans. Il consiste à utiliser des objets, des gestes ou des mots pour représenter autre chose que ce qu’ils sont. Par exemple :
– Faire semblant que la cuillère est une voiture
– Donner à manger à une poupée en mimant une scène de repas
– Inventer une conversation entre deux figurines
Ce type de jeu est essentiel pour le développement de la pensée abstraite, du langage, de l’imagination et des compétences sociales. Un enfant avec un TDL a généralement des idées de jeu symbolique, mais peut avoir du mal à les verbaliser ou à les partager. En revanche, chez un enfant avec un TSA, le jeu symbolique peut être absent, limité ou rigide, centré sur des actions répétitives ou peu partagées avec l’autre.
Tableau comparatif détaillé – TDL vs TSA
| Critère du DSM-5-TR (TSA) | Manifestations dans le TSA | Manifestations dans le TDL |
| Déficit de la réciprocité sociale | Peu d’initiation d’interactions, réponses limitées aux autres, difficulté à partager les émotions ou les intérêts | L’enfant initie les contacts, mais peut s’exprimer maladroitement ou éviter de parler par peur de l’échec |
|
Déficit de la communication non verbale |
Contact visuel réduit, gestuelle limitée ou inadaptée, difficulté à décoder les mimiques, les regards |
Contact visuel et gestuelle adaptés, parfois discrets mais présents ; les difficultés sont surtout verbales |
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Déficit dans le développement et maintien des relations |
Difficulté à ajuster le comportement au contexte social, peu d’intérêt pour les pairs, incompréhension des règles sociales implicites |
Désir d’interaction présent, mais souvent gêné par le langage ou l’insécurité sociale liée aux limitations expressives |
|
Comportements moteurs ou verbaux stéréotypés |
Répétitions de gestes (battements de mains, balancements), écholalie, utilisation inhabituelle des objets |
Absent. Parfois des répétitions de mots, mais liées au développement du langage et non à un besoin répétitif |
| Insistance sur la similitude, routines, rigidité | Réactions vives aux changements, besoin de suivre
un rituel, détresse si imprévu |
Généralement souple et adaptable. Des habitudes peuvent exister, mais sans détresse marquée en cas de changement |
| Intérêts restreints, fixations | Forte intensité sur un sujet spécifique (ex. : cartes de transport, dinosaures), difficulté à élargir les intérêts |
Intérêts variés, parfois moins facilement exprimés à cause des limitations de langage, mais pas restreints ni envahissants |
| Réactivité sensorielle inhabituelle |
Hyper- ou hypo-réactivité aux sons, lumières, textures (ex. : couvre ses oreilles, évite certains vêtements) |
Réactions sensorielles dans les normes ; si présente, elle est expliquée par d’autres facteurs que le trouble du langage |
| Langage verbal |
Parfois atypique : écholalie, prosodie inhabituelle, langage très formel ou littéral |
Langage simplifié, erreurs syntaxiques, pauvreté lexicale, difficultés d’accès au mot juste |
| Jeu symbolique | Souvent absent, limité ou rigide ; peu d’imagination partagée |
Présent mais parfois difficile à exprimer verbalement ou à partager à cause des limitations linguistiques |
| Motivation sociale | Variable : certaines formes de TSA présentent peu de recherche spontanée de contact |
Généralement présente, parfois entravée par la gêne, la peur du jugement ou la difficulté à se faire comprendre |
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Souplesse cognitive |
Difficultés à s’adapter, à envisager plusieurs solutions, à tolérer les imprévus |
Bonne souplesse dans l’ensemble, sauf s’il y a anxiété ou faible estime de soi liée au langage |
Éclairage complémentaire : Bien que les particularités sensorielles soient une caractéristique centrale du TSA, certaines personnes avec un TDL peuvent également présenter des sensibilités sensorielles (ex. : aux bruits forts, aux textures, à la foule). Toutefois, ces réactions sont généralement moins fréquentes, moins intenses, et ne s’accompagnent ni de comportements répétitifs, ni de rigidité comportementale comme on l’observe souvent dans le TSA. Elles peuvent aussi être liées à l’anxiété ou à un inconfort communicationnel plutôt qu’à une altération du traitement sensoriel en soi.
Co‑occurrence possible : TSA + trouble de langage structurel
Il est possible qu’un enfant ait un profil autistique tout en présentant des difficultés de langage structurel (syntaxique, morphologique, lexical) qui ressemblent à un TDL. Dans ce cas, on parle moins de « TDL pur » que d’un TSA avec déficit de langage. Ce profil combiné se manifeste par des erreurs grammaticales plus sévères, un vocabulaire particulièrement restreint, mais aussi les difficultés sociales, la rigidité de routines et les particularités sensorielles caractéristiques du TSA. Le défi diagnostique est de distinguer ce qui relève du TSA (communication sociale, intérêts restreints) de ce qui est un trouble de langue “en plus”. L’évaluation multidisciplinaire est alors essentielle pour adapter précisément le soutien.
L’impact scolaire : des défis différents selon le trouble
Les difficultés liées au TDL et au TSA peuvent toutes deux avoir des répercussions à l’école, mais de façons différentes.
- Chez l’enfant avec un TDL, les obstacles sont surtout liés au langage. Il peut avoir de la difficulté à comprendre les consignes complexes, à suivre une histoire, à s’exprimer clairement à l’oral ou à l’écrit. Ces limites peuvent nuire à la réussite scolaire, particulièrement en lecture, en écriture et dans les matières qui exigent beaucoup de compréhension verbale. Souvent, l’enfant a les capacités intellectuelles nécessaires, mais le langage agit comme un filtre qui brouille ou ralentit ses apprentissages.
- Il est aussi important de souligner que chaque enfant avec un TDL présente un profil unique, selon l’intensité et le type de ses difficultés (expressives, réceptives, pragmatiques). Ces manifestations varient en fonction de plusieurs facteurs : ses capacités cognitives, la qualité de son environnement éducatif, la réponse des adultes qui l’entourent, et les ressources de soutien disponibles.
Les autres conséquences cognitives du TDL
Au-delà du langage, plusieurs enfants ayant un TDL présentent aussi des difficultés dans d’autres domaines cognitifs. On observe fréquemment :
- Des fragilités des fonctions exécutives : planification, organisation du travail, mémoire de travail, flexibilité. Cela peut rendre plus difficile la gestion des tâches scolaires, suivre plusieurs étapes d’un problème ou changer de stratégie en cours de route.
- Une attention parfois fragile, parfois associée à un trouble du déficit de l’attention (TDA/H). L’attention soutenue et sélective peut être compromise, ce qui augmente les risques de décrochage en classe.
Ces difficultés cognitives accentuent les impacts du trouble du langage et expliquent pourquoi certains enfants avec un TDL accumulent des retards scolaires même lorsque le soutien en orthophonie est en place. - Chez l’enfant avec un TSA, les défis touchent davantage la souplesse et la vie sociale en classe. L’enfant peut avoir de la difficulté à collaborer en équipe, à s’adapter aux imprévus, à comprendre les règles implicites du fonctionnement scolaire ou à tolérer certains bruits et stimulations de la classe. Ces difficultés ne sont pas liées uniquement aux apprentissages scolaires eux-mêmes, mais à la façon de naviguer dans l’environnement scolaire, ce qui peut affecter autant la réussite que le bien-être.
L’importance du dépistage et de l’évaluation
Distinguer un TDL d’un TSA peut être complexe, même pour des professionnels. Les deux profils partagent certains signes en surface, mais leurs mécanismes sous-jacents et leurs besoins d’intervention sont différents. C’est pourquoi un dépistage et une évaluation précoces sont essentiels.
- Pourquoi dépister tôt? Plus l’enfant bénéficie tôt de soutien (orthophonie, soutien scolaire, interventions adaptées pour le TSA), plus ses chances de progresser et de développer ses compétences sociales et scolaires augmentent.
- La neuropsychologie au premier plan : l’évaluation neuropsychologique constitue un outil central pour établir le diagnostic différentiel entre TDL et TSA. Elle permet d’examiner non seulement le langage, mais aussi les fonctions cognitives (attention, mémoire, fonctions exécutives), le profil socio-émotionnel, les comportements et le jeu symbolique. Cette approche intégrée offre une vision globale de l’enfant, essentielle pour préciser le diagnostic et orienter vers les bons services.
Encadré – Quand consulter et pourquoi?
Il peut être utile de consulter un professionnel (orthophoniste, neuropsychologue, pédopsychiatre) si vous observez chez votre enfant :
- Un retard marqué de langage (peu de mots à 2 ans, phrases encore très limitées après 3-4 ans).
- Des difficultés à comprendre des consignes simples pour son âge.
- Une absence ou une pauvreté du jeu symbolique après 3 ans.
- Un retrait social persistant : l’enfant ne cherche pas à jouer avec les autres ou évite les interactions.
- Une rigidité importante dans les routines ou de fortes réactions aux changements.
- Des comportements répétitifs ou inhabituels (aligner les jouets, répéter toujours les mêmes gestes).
- Des réactions sensorielles inhabituelles (se boucher les oreilles, refuser certains vêtements, hypersensibilité aux bruits ou aux lumières).
Pourquoi consulter? Parce qu’un dépistage précoce permet de mettre en place des interventions ciblées et d’éviter que l’enfant accumule des difficultés scolaires, sociales ou émotionnelles qui auraient pu être prévenues.
Conclusion
Confondre le trouble développemental du langage (TDL) et le trouble du spectre de l’autisme (TSA) est fréquent, car certains signes se ressemblent. Pourtant, la distinction est essentielle : dans le TDL, l’enfant veut interagir, mais se heurte à la barrière du langage, alors que dans le TSA, la difficulté touche plus largement la compréhension des codes sociaux et la flexibilité dans les comportements.
Mieux comprendre ces différences permet non seulement de poser un regard plus juste sur l’enfant, mais aussi de mettre en place les interventions qui lui conviennent vraiment. Qu’il s’agisse d’un TDL ou d’un TSA, un dépistage précoce, une évaluation spécialisée et un accompagnement adapté ouvrent la voie à des progrès importants et à un meilleur épanouissement, à l’école comme dans la vie sociale.
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Bio Dr Dave Ellemberg :
Dr Dave Ellemberg, Professeur titulaire et chercheur à l’Université de Montréal, Neuropsychologue clinicien, fondateur de la CENTAM (Clinique d’Évaluation Neuropsychologique et des Troubles d’Apprentissage de Montréal) et membre du conseil d’administration de l’association québécoise des troubles d’apprentissages de 2004 à 2010. Dr Ellemberg a plus de quatre-vingts de publications scientifiques à son actif et il a donné plus de deux cents conférences en Amérique, Europe et Asie présentant les résultats de ses recherches sur le développement du cerveau humain. Il est récipiendaire du nombreux prix incluant le certificat d’excellence de la Société Canadienne de Psychologie, du prix Cerveau en Tête des Instituts de Recherche en Santé du Canada et du prix E. A. Baker du Conseil Canadien de Recherche Médicale.

































